Histoire et origine du terme « Diogène » : de l’Antiquité à la médecine moderne
Pourquoi comprendre le nom est essentiel
Le mot « Diogène » évoque parfois un philosophe austère pour les passionnés d’histoire, parfois un trouble du comportement pour les médecins et les travailleurs sociaux, et souvent un mystère pour le grand public.
Pourtant, derrière ce nom se cache une histoire à cheval entre philosophie antique et observation clinique moderne.
Comprendre cette origine n’est pas un simple exercice académique : c’est un moyen de changer le regard porté sur les personnes concernées, d’améliorer l’accompagnement et de réduire les jugements.
1. Les racines philosophiques : Diogène de Sinope, un provocateur au service de la liberté
1.1. Une figure marquante de l’école cynique
Né vers 413 av. J.-C. à Sinope, cité grecque du Pont-Euxin (actuelle Turquie), Diogène grandit dans une société en pleine mutation, marquée par la guerre du Péloponnèse et les tensions entre cités grecques.
Élève d’Antisthène, disciple de Socrate, il devint le représentant le plus radical du cynisme, courant philosophique prônant la vertu par le rejet des biens matériels et l’autosuffisance.
1.2. Une vie volontairement dépouillée
Diogène vivait sans maison, dormant dans une grande jarre (pithos) et possédant pour tout bien un manteau, un bâton et une écuelle. La légende raconte qu’il jeta un jour son écuelle après avoir vu un enfant boire dans ses mains, trouvant que cet accessoire était encore superflu.
1.3. Un rapport à la société en opposition avec le syndrome
Ce philosophe choisissait librement la pauvreté et cultivait les provocations : se montrer en public dans des situations choquantes pour critiquer l’hypocrisie sociale, interpeller Alexandre le Grand avec audace, vivre « selon la nature ».
C’est cette radicalité volontaire qui le différencie profondément des personnes vivant aujourd’hui avec le syndrome qui porte son nom, pour lesquelles le retrait social et la négligence ne sont ni choisis, ni valorisés.
2. L’apparition du terme en médecine : un choix sémantique contesté
2.1. L’étude fondatrice de 1975
Le terme « Syndrome de Diogène » est introduit en 1975 par les médecins Clarke, Mankikar et Gray dans une publication du Lancet.
Ils décrivent un groupe de patients âgés présentant une auto-négligence sévère, un isolement, un refus d’aide et souvent un environnement domestique insalubre.
2.2. Pourquoi avoir choisi « Diogène » ?
L’analogie semble avoir été motivée par l’idée d’un retrait volontaire de la société et d’un mode de vie perçu comme marginal.
Cependant, les spécialistes soulignent rapidement que la comparaison est maladroite : Diogène était socialement actif et lucide, alors que ce syndrome implique souvent un déclin cognitif, des troubles psychiatriques ou des difficultés physiques majeures.
2.3. Une appellation qui persiste malgré les critiques
Plusieurs voix proposent de remplacer ce terme par « syndrome de la misère domestique volontaire » ou « syndrome de la saleté sénile », mais « Diogène » reste largement employé, notamment en France, par habitude et par sa force évocatrice.
3. Les caractéristiques cliniques du syndrome
3.1. Les signes observés
Le syndrome se manifeste par :
Un désintérêt complet pour l’hygiène personnelle et l’entretien du logement
Une accumulation excessive d’objets parfois sans valeur
Un isolement social marqué
Un refus d’aide, même face à des situations dangereuses
3.2. Des causes multiples
Les études médicales indiquent que le syndrome peut être lié à :
Des troubles psychiatriques (dépression sévère, psychose, trouble obsessionnel compulsif)
Des maladies neurodégénératives (maladie d’Alzheimer, démence fronto-temporale)
Des traumatismes de vie (deuil, séparation, perte de statut social)
4. Données démographiques et réalité sociale
4.1. Profils les plus touchés
Les enquêtes épidémiologiques montrent que le syndrome touche principalement les personnes âgées, souvent isolées.
L’INSEE indique que près de 2 millions de personnes âgées vivent seules en France, ce qui augmente mécaniquement le risque d’isolement extrême.
4.2. Conséquences sur le voisinage et la collectivité
Un logement laissé à l’abandon peut poser des problèmes sanitaires (nuisibles, odeurs, risques d’incendie) et des tensions avec les voisins. Les interventions mobilisent souvent plusieurs services : santé, aide sociale, pompiers, parfois justice.
5. Comprendre pour agir : conseils aux proches et voisins
5.1. Rompre l’isolement avec tact
Il est crucial d’établir un lien de confiance, sans jugement, pour amener la personne à accepter de l’aide.
5.2. Mobiliser les bonnes ressources
Médecins traitants et gériatres
Services sociaux municipaux ou départementaux
Associations d’aide aux personnes isolées
Équipes spécialisées Alzheimer ou psychiatrie de secteur
6. Conclusion – Entre philosophie et clinique
Le nom « Diogène » illustre la puissance et les pièges des analogies historiques.
En connaissant son histoire, on comprend mieux pourquoi les mots influencent la perception et pourquoi la compréhension fine du syndrome est indispensable pour agir avec humanité.
Références
Clark, A. N. G., Mankikar, G. D., & Gray, I. (1975). Diogenes Syndrome: A Clinical Study of Gross Self-Neglect in Old Age. Lancet, 305(7903), 366–368.
Snowdon, J., Shah, A., Halliday, G. (2007). Severe domestic squalor: a review. International Psychogeriatrics, 19(1), 37–51.
Halliday, G., Banerjee, S., Philpot, M., & Macdonald, A. (2000). Community study of people who live in squalor. Lancet, 355(9207), 882–886.
Organisation mondiale de la santé (OMS) – Classification internationale des maladies, 11ᵉ révision (CIM-11).
Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) – données sur l’isolement des personnes âgées en France.
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