Guide pratique pour intervenir chez un proche atteint du syndrome de Diogène
Comprendre, agir, sécuriser et accompagner sur le long terme
1. Comprendre avant d’agir : nature et enjeux du syndrome de Diogène
Le syndrome de Diogène n’est pas une simple accumulation d’objets ou un « gros ménage à faire ». Il s’agit d’un trouble du comportement complexe, souvent lié à des pathologies psychiatriques (dépression, schizophrénie, troubles obsessionnels compulsifs) ou neurologiques (maladie d’Alzheimer, démence fronto-temporale).
Il se caractérise par trois éléments principaux :
Accumulation compulsive d’objets hétéroclites, parfois inutiles ou dégradés.
Négligence extrême de l’hygiène personnelle et domestique.
Isolement social marqué, souvent renforcé par un déni du problème.
Selon l’étude de Clark et al. (1975), il touche principalement les personnes âgées, mais des cas sont observés à tout âge. Les données récentes de l’INSEE (2023) confirment que l’isolement, les deuils ou les pertes d’autonomie augmentent le risque.
Le plus grand défi est que la personne concernée ne perçoit pas la gravité de la situation. Le logement devient insalubre, mais l’attachement aux objets ou la méfiance vis-à-vis des autres rend toute intervention délicate.
2. Repérer les signes avant-coureurs
Agir tôt permet souvent d’éviter que la situation ne devienne critique. Les signes à surveiller :
Encombrement progressif : meubles inaccessibles, couloirs bloqués, portes qui ne s’ouvrent plus complètement.
Accumulation d’ordures ménagères ou de déchets organiques.
Mauvaises odeurs persistantes dans le logement ou perceptibles depuis les parties communes.
Changements physiques : perte de poids, vêtements sales, mauvaise hygiène corporelle.
Isolement renforcé : refus d’ouvrir la porte, absence aux rendez-vous sociaux ou médicaux.
Ces signes peuvent être repérés par la famille, les voisins, mais aussi par des intervenants extérieurs comme les facteurs, infirmiers à domicile ou agents de maintenance.
3. Entrer en contact : établir la confiance
La clé d’une intervention réussie est la relation humaine.
Approche douce et progressive : éviter toute intrusion brutale qui risquerait de provoquer un blocage.
Langage bienveillant : parler de santé, de confort, de sécurité, plutôt que de saleté ou de désordre.
Respect de l’espace personnel : ne pas toucher aux objets sans accord préalable.
Prise de rendez-vous réguliers : instaurer un lien par la répétition de visites amicales.
Les travaux publiés dans The British Journal of Psychiatry soulignent qu’un accompagnement sur le long terme, centré sur la relation, augmente significativement les chances d’adhésion à un projet de tri et de nettoyage.
4. Préparer l’intervention : plan d’action structuré
4.1 Évaluer la situation
Avant toute action, il faut :
Identifier les zones à risque immédiat (risque d’incendie, risques de chutes, infestations).
Noter l’état des points d’accès vitaux : cuisine, sanitaires, sorties de secours.
Évaluer l’état de santé général avec un médecin.
4.2 Mobiliser les ressources
Services sociaux : CCAS, aide sociale départementale.
Professionnels de santé : médecin traitant, gériatre, psychiatre.
Associations : groupes de soutien pour aidants, structures d’accompagnement social.
4.3 Définir un calendrier
Intervention en plusieurs étapes pour éviter un choc psychologique.
Prévoir des pauses pour que la personne puisse accepter les changements.
5. Organiser le tri : méthode pratique
Le tri est souvent la partie la plus difficile car il touche directement à l’attachement émotionnel aux objets. Voici une méthode progressive :
5.1 Classer par catégories
À conserver : objets utiles, documents officiels, souvenirs majeurs.
À jeter : déchets, objets cassés irréparables, emballages vides.
À donner : vêtements en bon état, ustensiles, meubles fonctionnels.
5.2 Commencer par les zones vitales
Cuisine : libérer les plans de travail, jeter les aliments périmés.
Salle de bain / toilettes : assurer un accès sécurisé et hygiénique.
Zone de couchage : permettre un sommeil sain.
5.3 Impliquer la personne
Lui demander de choisir un ou deux objets par jour à éliminer.
Photographier certains objets avant de les jeter pour garder un souvenir visuel.
5.4 Avancer par petits pas
Prévoir des sessions courtes (2-3 heures).
Éviter de vider tout en une seule fois sauf urgence sanitaire.
6. Sécuriser le logement : prévention des risques
Une fois le logement partiellement dégagé, il faut penser à la sécurité :
Libérer les voies de circulation : couloirs, escaliers, portes.
Vérifier les installations électriques : remplacer les câbles défectueux, éviter les multiprises surchargées.
Assainir l’air : aérer régulièrement, installer éventuellement un purificateur.
Contrôler les infestations : intervention de dératisation ou désinsectisation si nécessaire.
Installer des détecteurs de fumée conformes à la loi.
L’INSEE et le Ministère de la Santé rappellent que les chutes à domicile sont l’une des principales causes d’hospitalisation des seniors. Libérer l’espace est donc un enjeu vital.
7. Gérer l’aspect émotionnel et psychologique
Ne pas imposer un rythme que la personne ne peut pas suivre.
Valoriser chaque progrès, même minime.
Accompagner avec des professionnels : psychologue, ergothérapeute, assistant social.
Le soutien émotionnel est essentiel pour éviter les rechutes. La Revue Neurologique (2021) indique que le maintien d’un lien social régulier réduit les comportements d’accumulation.
8. Suivi à long terme : prévenir la rechute
8.1 Maintenir le lien
Visites régulières des proches.
Appels téléphoniques fréquents.
8.2 Mettre en place des routines
Passages programmés d’aides à domicile.
Rendez-vous médicaux réguliers.
8.3 Surveillance discrète
Veiller à ce que le logement reste praticable.
Repérer rapidement un nouvel encombrement.
8.4 Encourager les activités sociales
Clubs, associations, ateliers.
Bénévolat ou activités créatives.
9. Collaborer avec le voisinage
Le rôle des voisins peut être positif si la communication est claire :
Expliquer la situation sans entrer dans les détails médicaux.
Limiter les tensions en assurant qu’un suivi est en place.
Encourager le signalement en cas de problème urgent (fuite, incendie).
10. Cas d’urgence : quand agir vite
Certaines situations nécessitent une intervention immédiate :
Risque sanitaire majeur (prolifération de nuisibles, moisissures toxiques).
Danger imminent (câbles électriques dénudés, fuite de gaz).
État de santé critique (déshydratation, malnutrition, blessure non soignée).
Dans ces cas, il peut être nécessaire d’impliquer les services municipaux, les pompiers ou la police pour protéger la personne.
11. Prévenir plutôt que guérir
Les mesures préventives incluent :
Veiller à l’intégration sociale : réduire l’isolement par des visites et des activités.
Aider dans la gestion administrative pour éviter l’accumulation de courriers.
Sensibiliser les aidants à repérer les premiers signes.
12. Ce que doivent retenir les proches
La patience et la bienveillance sont plus efficaces que la contrainte.
L’objectif n’est pas seulement un logement propre, mais un cadre de vie sûr et stable.
Le suivi sur le long terme est indispensable pour éviter un retour à la situation initiale.
Sources
Clark ANG, Mankikar GD, Gray I. Diogenes syndrome: a clinical study of gross neglect in old age. The Lancet, 1975.
Halliday G, Banerjee S, Philpot M, Macdonald A. Community study of people who live in squalor. The British Journal of Psychiatry, 2000.
INSEE, Isolement social et conditions de vie des seniors, 2023.
Revue Neurologique, Troubles comportementaux liés à l’accumulation compulsive, 2021.
- Vues : 31